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Hipposophie :

L'EQUILIBRE

Aujourd'hui il est très à la mode de parler de "légèreté. Par l'expérience pratique, nous savons que l'équitation est un langage entre deux êtres vivants. Comme dans toute forme de langage, celui-ci comporte toutes les nuances des expressions inhérentes au type de message qui est transmis. De ce fait, parler de légèreté peut signifier parler de manière subtile, voire délicate. Mais comme dans tout langage, il semble que la teneur et la finalité du discours soit plus importante que la manière de s'exprimer, même si celle-ci devrait être en principe dans leur expression en adéquation avec les propos eux-mêmes. Ainsi , il est évidemment plus intéressant de considérer la finalité de l'équitation représentée par une quête d'équilibre, plutôt que de s'intéresser à la manière de s'exprimer qui dans tous les cas ne peut être que douce et intelligente quand elle émane d'une structure mentale ordonnée et consciente. La légèreté n'est ainsi que la conséquence d'une quête d'équilibre juste et parfait.

Mais quel est cet équilibre ? Il existe autant d’équilibres différents qu’il existe de chevaux, de cavaliers et de couples cheval-cavalier.

Dans toute quête, il semble important d'associer au travail une image mentale qui incarne la perfection finale, l'aboutissement du chemin. Pour ce faire, j'ai cherché parmi des centaines de photos et de gravures, celle qui incarnait au mieux cet équilibre parfait. J'ai retenu l'image représentant Mr de Nestier sur Le Florido. Cette vue fut considérée pendant plusieurs siècles comme l'incarnation de l'équilibre équestre idéal. Et pour cause.

Je me suis livré à un petit exercice de détourage en isolant le cavalier sur son cheval de leur environnement pictural. En superposant ce couple cheval-cavalier sur une mappemonde, le constat s’avère absolument étonnant. J’ai tracé une ligne dans l’axe de l’équilibre horizontal du cheval. A ma grande surprise, je constatai qu’elle était positionnée exactement dans l’axe de l’équateur. Puis en traçant une seconde ligne perpendiculaire à la première et située dans l’axe de l’équilibre vertical du cavalier, nous constatons qu’elle est orientée dans l’axe de rotation de la Terre. Ainsi, le cheval et le cavalier, pour que l’équilibre soit parfait, doivent être en harmonie avec les lois universelles de la cosmologie et des éléments temporels qui régissent les lois de l’univers. Cette notion, à l’évidence s’avère indiscutable. La seule chose qui puisse être réellement discutée, c’est la manière d’atteindre cet état d’équilibre parfait. Nous disposons de deux éléments à ce stade de l’observation. L’un, représenté par le cheval qui représente l’équilibre horizontal symbolisé par l’axe de l’équateur. Le second, représenté par le cavalier qui représente l’équilibre vertical symbolisé par l’axe de rotation de la Terre. En restant dans une vision cosmologique, selon la loi de l’héliocentrisme de Galilée, les éléments stellaires doivent disposer d’un point de repère pour se positionner dans l’espace. Le cavalier et son cheval qui représentent la Terre ont également besoin d’un troisième élément qui leur permet de se situer dans l’espace pour indiquer au cheval le positionnement exact de son corps par rapport à l’environnement terrestre. Le navigateur perdu au milieu des océans utilise le soleil, la lune, l’étoile polaire, la grande Ourse ou tout autre élément stellaire pour faire le point avec son cabestan pour ainsi se repérer et définir sa position. Pour le cavalier, il en est de même. Il va utiliser un élément tiers pour se situer dans l’espace temporel.

Ce troisième élément, à l’instar d’Hélios, le Soleil, l’astre central de notre système solaire est symbolisé par le mors.

Le mors est situé dans la bouche du cheval, l’organe du langage et de l’expression mais également l’organe de la sensibilité absolue. Par le positionnement du mors dans l’espace, le cavalier indique au cheval le sens de l’équilibre idéal. Les rênes fixées sur le mors permettent au cavalier de montrer ce chemin d’équilibre au cheval. Selon la gravure présentant Mr de Nestier, les rênes vont vers la ceinture du cavalier et plus précisément vers son nombril. Pourquoi le nombril ? Car c’est le centre de gravité de tout humain, son point d’équilibre parfait. Par cette indication, le cavalier en positionnant de surcroit ses épaules légèrement en arrière de la verticale, dans l’axe de rotation de la Terre, indique au cheval le sens de l’harmonie temporelle et cosmologique, l’unité avec les éléments terrestres et cosmiques.Alors bien évidemment, cette réflexion ne peut s’appliquer qu’à un couple cheval-cavalier en mouvement. La Terre elle-même est en mouvement permanent au même titre que tout le système stellaire dans laquelle elle évolue. Le mouvement implique donc cette recherche d’équilibre en gardant en ligne de mire et en référence absolue, l’image de cet équilibre parfait. Bien évidemment, cette logique est toute autre quand le couple cheval-cavalier est immobile.

Dans ce cas uniquement, la loi qui s’impose est celle de la perpendicularité par rapport au sol au même titre que n’importe quel objet immobile pour être en équilibre doit rester positionné à l’équerre. Par conséquent, le cheval et le cavalier étant deux êtres vivants, il va de soi que la seule logique qui s’impose soit celle de l’universalité cosmologique en mouvement.

Parmi toutes le figures équestres, le piaffé incarne cet équilibre absolu en harmonie avec l’environnement temporel terrestre répondant de surcroit parfaitement à la loi de la gravitation définie par Newton.

Toute la réflexion pour le cavalier consiste à trouver le juste chemin qui mène vers cet apogée. Aujourd’hui, toute la réflexion est malheureusement presque systématiquement dirigée par des critères strictement biomécaniques.

Cela revient à placer le cheval au même niveau qu’une bicyclette, c’est à dire un objet sans esprit et sans âme. Ainsi on emploie couramment le terme de « dressage » qui implique une notion de contrainte au même titre que l’on dresse une tige métallique à laquelle on impose une forme en employant des techniques de force. Aussi, je préfère le terme d’éducation ou d’apprentissage quand il s’agit du cheval ou de tout autre animal.

Les recherches et expérimentations menées par le Pr. MATSUZAWA de l’Université de Kyoto sur la cognition animale sont sans équivoques et démontrent clairement les capacités d’analyse et d’apprentissage des équidés. 

Autrement dit, en intégrant dans le travail d’éducation et d’apprentissage du cheval les principes issus de l’observation et du constat scientifique, nous devrions parvenir à une approche de la relation homme-animal fondamentalement modifiée.

Concernant la notion d’équilibre ci-dessus définie et parfaitement décrite et codifiée par les Maîtres Ecuyers du passé, il suffit de rouvrir les livres anciens et de s’en inspirer pour le travail quotidien. Nous n’avons rien à inventer. Xenophon, Dom Duarte, La Guérinière, Baucher ou Oliveira l’ont fait avant nous, pour n’en citer que quelques uns. De surcroit, le cheval était au centre de leur vie quotidienne alors qu’aujourd’hui, le cheval ne représente plus qu’un instrument de loisir.

Quant à la relation avec l’animal, outre les principes éthologiques qui sont fondamentaux dans la relation inter-espèces, la prise de conscience et l’intégration dans la méthode de travail de la réalité d’une forme d’intelligence, d’analyse et de mémorisation du travail devraient nous mener vers une approche de l’équitation modifiée, à la fois plus simple, plus efficace et plus riche.

Bien sûr, gare aux interprétations et aux attitudes anthropomorphiques qui s’avèrent dévastatrices dans bien des relations homme-animal.

Dans cette réflexion, il n’est nullement question d’une quelconque relation romantico-anthorpomorphique totalement utopiste.

La relation avec l’animal répond à des règles éthologiques strictes au même titre que la technique équestre répond à un apprentissage précis et raisonné pour le cavalier et pour le cheval. Il n’est pas question de révolutionner le monde équestre par une énième nouvelle méthode comme il en existe déjà énormément et qui n’ont d’intérêt que d’un point de vue mercantile. L’équitation ne peut être réduite à une méthodologie quelconque. Elle correspond à des règles précises que tout cavalier se doit d’apprendre, de connaitre, d’intégrer et de pratiquer. Mais celles-ci doivent pouvoir s’adapter à chaque cheval, à chaque cavalier et à chaque couple cheval-cavalier. De fait, les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets en équitation.

En conclusion et c’est là l’objet de cette réflexion, il me semble important de prendre conscience et d’intégrer au travail d’éducation et d’apprentissage du cheval, la notion de cognition, d’intelligence et de sensibilité du cheval. Aimons ce noble animal à qui l’humanité doit tant. Et pour la finalité de la progression dans ce travail, inspirons-nous de la réalité temporelle universelle qui nous montre un chemin de prise de conscience d’interaction évidente entre tous les éléments terrestres et cosmiques.

L’équilibre et l’harmonie universelle et équestre sont à ce prix.

Francis STUCK

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